CENTRE D'ETUDES HISTORIQUES - 11270 FANJEAUX
LES CAHIERS DE FANJEAUX
L'encyclopédie de l'histoire religieuse du Midi au Moyen Age
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Les ordres religieux militaires, dont les plus connus sont les Templiers et les Hospitaliers, occupent généralement une place marginale dans l’historiographie concernant l’Église et la vie religieuse. Ces ordres, voués à la défense de la Terre-Sainte ou des frontières entre la chrétienté et les mondes extérieurs à elle dans la péninsule ibérique ou les pays de la Baltique, ont cependant joué un rôle important dans le Midi, où se trouvait une partie de leurs bases arrière. L’ordre teutonique lui-même y possédait deux maisons, l’une à Montpellier, l’autre à Arles. À Saint-Gilles fut fondé le premier prieuré des Hospitaliers en Occident. Les possessions de l’ordre en Provence étaient particulièrement importantes. Dans les pays d’oc comme ailleurs, les ordres militaires offraient à l’aristocratie un compromis approprié entre vie religieuse et activité chevaleresque, d’où leur succès et le flux de donations dont ils bénéficièrent, d’où leurs importants réseaux de commanderies. Malgré une surabondante littérature de seconde main, bien des aspects de la vie des ordres militaires demeurent à explorer : leurs relations avec les comtes de Toulouse, leur rôle dans l’encadrement religieux des populations, leur contribution à l’émergence de l’art gothique, la place des femmes en leur sein. L’affaire du Temple (1307-1314) eut naturellement un fort retentissement dans la France méridionale. On sait qu’elle était liée à la volonté du roi d’éliminer un ordre aristocratique international et lié au pape. Philippe le Bel et ses conseillers (dont plusieurs méridionaux) ne manquèrent pas de déclarer les Templiers hérétiques et d’utiliser au profit de la monarchie les techniques de l’inquisition. Le Cahier 41 (2006) traite amplement de toutes ces questions.
Le Cahier suivant (42, 2007) a pour thème Les justices d’Église dans le Midi (XIe-XVe siècle). Il concerne l’exercice concret de la justice, à l’intérieur des communautés ecclésiastiques (monastères, couvents, chapitres), au sein des populations dont les clercs assuraient le gouvernement spirituel (paroisses, diocèses), mais aussi dans les seigneuries d’Église. Il montre la séparation progressive des juridictions et des fors, consécutivement à la prise d’autonomie ecclésiale à partir de la fin du XIe siècle. Après le IVe concile de Latran, le for interne se définit de façon plus stricte, en lien avec le pouvoir d’ordre des clercs, et de même le for externe, lié au pouvoir de juridiction de l’Église. Aussi bien, les officiaux, juges au for externe de l’Église dans l’exercice de ses pouvoirs spirituels, distincts des juges en charge de la juridiction temporelle des évêques, apparaissent-ils dans le Midi au cours de la seconde moitié du XIIIe siècle. L’étude des justices d’Église en action introduit dans la grande mutation des rapports de pouvoir qui s’effectue du XIIe au XIVe siècle, car à l’époque la puissance des hommes et des institutions se mesure à leur capacité de juger. La justice n’a pas pour seule fonction la régulation sociale, elle assure un pouvoir à celui qui la détient. Le Cahier 42 met en évidence les procédés dont les détenteurs de la justice d’Église ont usé pour préserver ou bien élargir leur compétence, gage de leur puissance spirituelle et/ou politique. Au-delà, il expose la terrible complexité de la justice médiévale et il aide à la comprendre ; en outre, il révèle la marche de la société éclatée des temps féodaux vers une plus grande unité spirituelle et institutionnelle.
Famille et parenté (43, 2008) constituent l’un des thèmes majeurs de la recherche historique depuis plus de trente ans ; il était important de prendre en considération l’articulation de ces structures anthropologiques avec la vie religieuse du Midi au Moyen Âge. Le Cahier 43 s’est attaché à cette recherche. Il n’est sans doute aucun domaine où l’Église eut plus d’emprise, tout particulièrement à partir du XIe siècle. La réforme grégorienne entraîne au XIIe siècle une « révolution sacramentelle », puis au XIIIe une « révolution pastorale », qui imposent à tous les groupes sociaux des normes renouvelées de vie chrétienne, de la naissance à la mort. Alors trouve son aboutissement le combat mené par les clercs pour promouvoir le mariage monogame et indissoluble et pour lui assigner toute pratique licite de la chair. Une pastorale vigoureuse aboutit à la fin du Moyen Âge à l’exaltation de la Sainte-Famille, et, en corollaire, à la sanctification de la famille conjugale. Il reste que l’attachement aux pratiques anciennes des alliances matrimoniales paraît avoir nourri, en certains cas, le passage à la dissidence. Ce dernier processus montre souvent la prégnance de l’oustal ou domus dans les choix religieux, même si, en certains cas, des individus semblent échapper à la contrainte familiale ; ce phénomène illustre au demeurant le caractère indécis, dans l’esprit des hommes du temps, des frontières entre orthodoxie et hétérodoxie.
À partir du XIe siècle, les villes connaissent un développement rapide ; certaines éclosent auprès de monastères, mais toutes les communautés monastiques, anciennes comme celles des moines noirs ou plus récentes comme celles des moines blancs ou des ordres militaires, possèdent des maisons urbaines. Par ailleurs, la ville, centre de tensions entre une Église encore rurale et féodale et un nouveau laïcat, devient le lieu d’implantation des couvents de Mendiants. Moines et religieux (44, 2009) ont ainsi fortement contribué à la structuration et à la polarisation des espaces urbains. Leur présence, souvent, a contribué à construire l’identité de la ville, en lui fournissant des repères spirituels et matériels. Les communautés religieuses jouent dans les villes un rôle économique, social, politique et religieux tout à fait essentiel. Ce tissu de liens inextricablement mêlés méritait d’être examiné dans le détail. Les contributions au Cahier 44 (2009) abordent la question à la fois du point de vue de l’histoire religieuse et du point de vue de l’histoire urbaine. Une place de choix est faite aux ordres mendiants, sans oublier leurs branches féminines. Les ordres plus anciens sont largement évoqués, notamment les chanoines de Saint-Ruf. De très nombreuses villes font l’objet d’une analyse détaillée, ainsi Aix, Avignon, Moissac, Montpellier, Narbonne, Rodez et Toulouse. Les approches s’avèrent multiples, des vagues d’implantation au repli intra muros de nombreuses communautés pendant la guerre de Cent ans, des logiques spatiales à la pastorale et à la piété urbaines, de l’architecture aux relations avec les autorités municipales. Un CD-ROM riche de 163 cartes, plans, dessins et photographies accompagne ce volume.
Le quarante-sixième colloque, présidé par Michel Lauwers et conclu par Dominique Iogna-Prat, avait pour titre Lieux sacrés et espace ecclésial (IXe-XVe siècle), (46, 2011). Les actes de cette réunion composent le Cahier 46. Les formes vécues de l’espace procèdent d’une interaction entre les données matérielles et les représentations. On s’intéresse depuis quelques années à la manière dont le fait religieux, et, partant, l’Église, ont contribué à modeler et organiser les espaces où s’est déployée la société médiévale. À partir de l’autel, garni de reliques et où se célèbre le sacrifice eucharistique, éléments et fait médiateurs entre la terre et l’au-delà, se sont définis des espaces concentriques où s’incarne le sacré : la Maison-Dieu, c’est-à-dire l’église, le cimetière, la paroisse. S’est développé ainsi un processus de « spatialisation du sacré », conduit par les ministres du culte. Ces loca sacra ont polarisé l’espace et concouru à sa structuration. Genèse des paroisses, développement des bourgs monastiques et des « villages ecclésiaux », espaces liturgiques, topographie et articulation de l’espace ecclésial, mise en place des diocèses, archéologie du cimetière, aires de prédication et de quête, représentation figurée et symbolique du territoire pontifical, autant de thèmes abordés dans le Cahier 46. Lors du colloque de 2010 sont intervenus onze nouveaux collaborateurs et d’une manière générale, il a été l’expression de générations de chercheurs jeunes et dynamiques.
Le quarante-septième colloque, consacré à La parole sacrée (47, 2012). Formes-fonctions-sens (XIe-XVe siècle) s’est inscrit dans un même mouvement. Le renouvellement des thèmes et des auteurs laisse augurer d’un avenir positif pour l’histoire religieuse du Midi médiéval et pour les Cahiers de Fanjeaux.
Si l’on tente aujourd’hui (2011) un bilan prenant en compte les 45 Cahiers publiés, il fait apparaître des données extraordinaires. Les 45 volumes composent un ensemble de 20249 pages et de 764 articles, contribution de 341 spécialistes, dont 104 historiennes.
Du Cahier 26 au Cahier 46 (Cahier 45 à paraître, exclu) sont intervenus 42 contributeurs aux volumes antérieurs, responsables de 130 articles, pour 154 intervenants nouveaux, lesquels ont livré 226 articles. Ces nombres marquent à la fois que les Cahiers s’inscrivent dans une continuité et que leurs collaborateurs se sont profondément renouvelés.
Pour les 25 premiers Cahiers, la proportion des contributions féminines s’élevait à 23% ; pour les 20 Cahiers suivants, elle est passée à 36%.
Le Comité du Centre historique de Fanjeaux a été profondément renouvelé et rajeuni dans les dernières années. Il a accueilli Patrick Henriet (2006), Damien Carraz (2008), Gilles Danroc, Hugues Labarthe et Martin Morard (2010). Henri Gilles, après quatre décennies fructueuses, en raison de problèmes de santé, a transmis la présidence à Michelle Fournié.
Par Jean-Louis Biget, professeur émérite à l'ENS-LSH, Juillet 2011.
(Texte présenté à l'occasion du cinquantième anniversaire des colloques de Fanjeaux)
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