CENTRE D'ETUDES HISTORIQUES - 11270 FANJEAUX
LES CAHIERS DE FANJEAUX
L'encyclopédie de l'histoire religieuse du Midi au Moyen Age
Page précédente Cahiers 21 à 30
Le christianisme est une religion du livre et la vie religieuse des institutions chrétiennes a toujours reposé sur des livres. Des fonds anciens subsistent dans le Midi. Celui du chapitre cathédral d’Albi s’avère le plus riche dans la durée (VIIe-XVe siècle). Grâce aux comptes de dépouilles et aux testaments, on connaît aussi quelques bibliothèques personnelles, celles d’ecclésiastiques divers et celles de laïcs. Les livres se multiplient et se diversifient à partir du XIIIe siècle, ce qui impose des cadres de classement bien déterminés, par matières, par auteurs, par formats et par lieux de conservation, ainsi à Saint-Pons, à Saint-Victor de Marseille au début du XVe siècle, ainsi qu’à Saint-Maximin un siècle plus tard. La hiérarchie des bibliothèques personnelles des clercs reproduit celle de l’Église elle-même. La plus grande du Midi, plus institutionnelle qu’individuelle au reste, est celle des papes d’Avignon ; les laïcs possèdent des livres de dévotion ; les cartulaires des communautés méridionales présentent des extraits des Évangiles qui en font des livres « juratoires ». Ces quelques notations n’épuisent pas l’ampleur des thèmes abordés dans le Cahier 31, Livres et bibliothèques (XIIIe-XVe siècle), (31, 1996). Il offre un premier bilan dans un domaine jusque-là mal connu pour le Midi, celui du monde complexe du livre médiéval et il porte témoignage sur l’évolution de la culture et de la spiritualité des chrétiens méridionaux.
La prédication se situe au cœur des problèmes religieux de la France méridionale aux XIIe et XIIIe siècles. Surgissent d’abord des prédicateurs spontanés, offrant à tous le Pain de la Parole divine. Cette prédication nouvelle s’organise dans la dissidence, notamment celle des bons hommes et celle des vaudois. L’Église réagit par l’intermédiaire des chanoines réguliers, mais bientôt l’affaire albigeoise souligne le danger de laisser à la dissidence la « parole horizontale », bien plus efficace que la prédication traditionnelle fondée, quant à elle, sur l’accumulation des autorités et un apparat de gloire. Saint Dominique et son évêque, Diègue d’Osma, instaurent alors au sein de l’institution ecclésiastique de porter témoignage sur la grandeur de Dieu par l’humilité de ses serviteurs. Le IVe concile du Latran, puis les statuts synodaux enjoignent que les desservants des paroisses mettent en œuvre une prédication élémentaire. Toutefois, les lacunes du clergé paroissial incitent le même concile à faire assister ce dernier par des prédicateurs spécialisés. Dans cette perspective, Honorius III confirme l’ordre des Prêcheurs en janvier 1217. Le Midi languedocien a donc joué un grand rôle dans le tournant pastoral de l’Église. Après 1230, il entre dans l’âge classique de la nouvelle prédication ; celle-ci cesse d’être polémique pour devenir totalement positive ; elle a pour but de conformer la pratique des fidèles à l’Évangile. La prédication dans les régions méridionales (32, 1997) au Moyen Âge, cependant, n’a pas donné lieu aux examens approfondis qu’elle a suscités ailleurs. C’est pourquoi une session de Fanjeaux a tenté de dénouer ce paradoxe. Artes praedicandi, recueils de sermons, modalités de la prédication, horizons de réception, monde des prédicateurs, effets de leur parole ont été analysés. Ces études forment la matière du Cahier 32 (1997).
Au-delà des cadres de la foi et de la doctrine, il existe dans la vie religieuse des données contingentes qui varient en fonction du temps, de la société et des impératifs de la pastorale. Les attitudes face à la mort et les représentations de l’au-delà ont subi le poids du présent où elles se sont élaborées. L’ère de la « mort apprivoisée » se clôt pour une bonne part à la fin du XIIIe siècle. L’évolution du rapport des hommes à la mort et à l’au-delà permet aux clercs, longtemps marginalisés en ce domaine, d’investir le rituel des derniers instants et des funérailles ; il leur permet aussi de construire une pédagogie du salut qui informe toute la vie des chrétiens, dans la perspective des fins dernières. La figuration répétée des enfers dans les églises de campagne en atteste. Dans le Midi, le culte des âmes du Purgatoire, qui restaure à l’intention des défunts une prière vraiment ecclésiale, se développe plus tôt qu’ailleurs. La France méridionale, entre Rodez, Toulouse et la Catalogne, apparaît comme l’aire territoriale où le Purgatoire a connu son plus grand succès aux derniers siècles du Moyen Âge , alors que la France septentrionale lui est demeurée longtemps indifférente . Benoît XII s’efforce de fixer la doctrine et de lutter contre les prolongements de la religion des bons hommes (qui soutient que tout est joué au moment du trépas et que l’Église n’a pas le pouvoir d’intercéder pour les morts) et contre certaines croyances populaires (bien illustrées par le cas de l’armier de Pamiers, Arnaud Gélis). La rencontre entre les initiatives de l’institution et la demande des fidèles favorise sans doute l’essor relativement précoce du culte des âmes du Purgatoire dans le Midi. Dans le Cahier 33 (1998), le problème des lieux et des modes de sépulture fait l’objet d’une étude archéologique attentive. L’analyse des Vies de saints et des procès de canonisation montre comment ils proposent un modèle de la « bonne mort », que les statuts synodaux cherchent à faire passer dans la pratique générale. Dans l’ensemble, à partir du XIIIe siècle, la commémoration individuelle des défunts l’emporte sur leur mémoire collective, tandis que le rôle médiateur de l’Église entre ici-bas et l’au-delà s’affirme partout. L’élection de sépulture génère des conflits entre les communautés de Mendiants, très sollicitées, et le clergé paroissial ; cependant, les séculiers l’emportent de beaucoup pour les demandes de messes et les sépultures. L’avenir dans l’Église appartient à la paroisse. Les princes illustrent leur puissance et la confortent par le théâtre de leurs tombeaux, ainsi pour la Maison d’Anjou. À leur niveau, les consuls des villes méridionales prennent en charge le salut de leurs concitoyens, en gérant le bassin et les confréries du Purgatoire, dont ils ont favorisé la mise en place. Cette imbrication du politique et du religieux atteste le plein succès du culte du Purgatoire. Le Cahier 33 met ainsi en parfaite évidence la dynamique conquérante, à travers le Moyen Âge, de l’Église et de la christianisation, dans les territoires essentiels du sentiment religieux et de la foi que sont la mort et l’au-delà.
Au fil du temps, les intitulés des colloques et des Cahiers ont épisodiquement fait référence aux Pays d’oc ou bien au Midi . La dilatation des champs géographique et chronologique des rencontres de Fanjeaux a été entérinée lors de la parution du trente-troisième Cahier, publié en 1998. Il était consacré à La mort et l’au-delà en France méridionale (XIIe-XVe siècle) et, simultanément, le sous-titre conféré à la collection indiquait que désormais celle-ci portait sur tout le Moyen Âge. La France méridionale apparaît ensuite dans les titres des Cahiers 36, 37 et 38 ; le Midi dans ceux des Cahiers 39, 41, 42, et 43. Le sous-titre devenu « Collection d’histoire religieuse du Languedoc au Moyen Âge » a muté logiquement en 2008-2009, devenant « Collection d’histoire religieuse du Midi de la France au Moyen Âge » ; pour des raisons administratives, il a pris la forme, en 2009, de « Publication annuelle d’histoire religieuse du Midi de la France au Moyen Âge ». L’espace auquel s’appliquent les Cahiers de Fanjeaux correspond désormais à la France de langue d’oc au Moyen Âge. Sans entrer dans des controverses d’érudition ou d’ordre politique sur l’aire de l’Occitanie, on peut définir cet espace comme celui qui s’étend au sud d’une ligne courant de Saintes à Limoges et Clermont-Ferrand, puis qui s’infléchit ensuite vers Valence et Briançon.
Le mot « évangélisme » n’apparaît qu’au début du XIXe siècle, mais l’Évangile a toujours été la référence essentielle des chrétiens. Il a donc paru nécessaire qu’une session de Fanjeaux fût consacrée, d’une part à la tradition et à la réception des Évangiles, d’autre part du passage de ceux-ci à l’évangélisme, c’est-à-dire à la prédication et à l’adoption d’une vie conforme à l’Évangile. Suivre le Christ c’est se faire apôtre, c’est retrouver la forme de l’Église primitive. Le fait s’inscrit dans les consciences à partir de la Réforme « grégorienne », sans aucun doute la « révolution culturelle » fondamentale du Moyen Âge. À partir d’elle se multiplient divers mouvements, évangéliques en leur principe, mais très variés. Les uns s’agrègent à l’orthodoxie qu’ils renouvellent ; d’autres alimentent l’hétérodoxie. Le Midi est terre d’affrontement de ces familles qui se revendiquent de l’Évangile. Il en naît un ordre apostolique, celui des Prêcheurs. Le Cahier 34 s’attache à définir ce qu’on entend par Évangile aux XIIe et XIIIe siècles et pose la question des formes et des moyens par lesquels il est donné à voir et à entendre ; il souligne comment avant saint François, la sequela Christi ne se confond pas avec l’imitatio Christi ; il montre la contestation qui naît du lien associant la veritas evangelica et la paupertas evangelica ; au cœur du problème de l’évangélisme se trouve ainsi posé celui des dissidences, celle des bons hommes comme celle des vaudois, et de leur interprétation de l’Évangile. En réponse au défi des uns et des autres, saint Dominique conjugue le témoignage de la vie avec celui de la prédication. Dans le respect du magistère, il assume l’Évangile en totalité, adoptant la forme de vie des apôtres pour porter la Parole de Dieu. Il semble bien que les Mendiants, par l’exemplarité de leur vie, par un apostolat de proximité, par une parole d’échange construite et persuasive, ont réussi à ramener dans l’Église les brebis un temps égarées sur les chemins d’un évangélisme hétérodoxe.
L’histoire religieuse entretient par nature des liens étroits avec l’histoire culturelle. Il a semblé intéressant d’examiner la façon dont l’Église méridionale s’inscrit dans les grandes mutations culturelles qui surviennent au cours des trois cents ans allant du succès de la réforme ecclésiastique du XIe siècle à la fin de la papauté d’Avignon. Ce fut le propos du Cahier 35, Église et culture en France méridionale (XIIe-XVe siècle), édité en 2000. Fondé sur l’Écriture, le christianisme implique l’essor d’une culture savante et la formation intellectuelle des ministres du culte. Au XIIe siècle, les écoles monastiques, qui tenaient jusque-là le premier rang, cèdent cette position aux écoles cathédrales, mais on sait peu de choses sur celles du Midi. La région ne paraît pas non plus participer à l’approfondissement de la théologie par l’usage de la logique comme discipline critique. Ce vide culturel favorise à coup sûr l’extension de la dissidence religieuse, d’autant que la laïcisation du savoir élémentaire (lecture, écriture) entraîne la formation de communautés multiples dont chacune interprète la Bible à sa façon.
Au XIIe siècle, les nécessités de la vie sociale entraînent la diversification du savoir et l’essor du droit. Rapidement, « les lois » cohabitent avec « le décret ». On compte bon nombre de médecins et de jurisperiti parmi les clercs provençaux. Les études de droit et de médecine semblent le moyen de faire une belle carrière ecclésiastique dans une société où la spéculation théologique paraît absente. La fin de la Croisade se marque, logiquement, par la création à Toulouse d’une université pour former des prédicateurs efficaces et des controversistes capables de répondre aux dissidents. En parallèle, les Mendiants mettent en place un réseau efficace de studia, modèles des collèges qui se multiplient à partir de la fin du XIIIe siècle. À ce moment, l’université de Toulouse achève de se structurer, comme celle de Montpellier et le retard culturel du Midi sur ce point se trouve résorbé. La région compte alors des juristes d’importance, les doctores tholosani, et un théologien remarquable, le franciscain Pierre Déjean-Olieu, malheureusement emblème et caution d’une dissidence, celle des Spirituels, de sorte qu’une suite de condamnations occulte sa pensée. Le fait marque qu’il ne peut exister une réelle autonomie du savoir par rapport à l’Église. Au demeurant, la plupart des maîtres et des étudiants sont des clercs ; le savoir acquis à l’Université garantit d’ailleurs l’accession aux offices et aux bénéfices. La formation et le niveau de culture de l’élite cléricale est assez bien connu, on manque en revanche d’informations sur celui des desservants de paroisse. On s’interroge sur le degré de culture chrétienne des fidèles et l’éradication de la vieille culture païenne. On a peut-être trop insisté sur le paganisme latent des habitants de Montaillou ; il semblerait aussi juste de s’étonner de la foi chrétienne dont ils font preuve. Le phénomène le plus évident au XIVe siècle dans le Midi réside dans les convergences de la foi et de la pratique religieuse entre les divers milieux. Un état commun de la croyance existe et la culture chrétienne constitue clairement le ciment unitaire de la société. Cette unité a sans doute sa part dans le rejet des autres religions, celle des Musulmans et celle des Juifs, mais l’intolérance qui s’installe au XIVe siècle possède également des racines politiques.
La littérature courtoise exprime bien le continuum culturel chrétien instauré dans la société méridionale. Sauf exceptions, le combat du corps et du cœur aboutit chez les troubadours à la subordination du charnel au spirituel ; de même l’amour porté à l’objet vénéré, l’ascèse qu’il implique, sont proches de l’amour porté à Dieu. Tout cela témoigne de la dominance du modèle chrétien dans les idéaux aristocratiques. Il existe du reste une interpénétration profonde entre le monde des cours seigneuriales et celui de l’Église. Des indicateurs multiples montrent qu’en pays d’oc, l’Église reste un cadre privilégié d’élaboration et de transmission du savoir et joue même un rôle matriciel dans la définition de la culture des laïcs. Cela, parce que le christianisme constitue le facteur déterminant de l’homogénéité de la société médiévale, dans le Midi comme dans tout l’Occident.
Au cours des trente-cinq premiers colloques, l’ordre des Prêcheurs a souvent été évoqué ; un bon témoignage en réside dans le Cahier hors-série, publié en 1998, qui réunit les contributions données par le P. Vicaire en ces réunions dont il fut le maître d’œuvre jusqu’en 1993. Toutefois, aucune session ne lui a été réservée de manière exclusive. Il a donc paru nécessaire de consacrer une rencontre à l’ordre de saint Dominique, auquel Fanjeaux doit sa renommée planétaire. Cela d’autant que l’histoire, on en a désormais conscience, est une construction permanente. Revenir sur celle des Prêcheurs a offert l’occasion de la nuancer et de l’enrichir. En un seul colloque, il n’était pas possible d’évoquer la contribution multiforme de l’ordre des Prêcheurs à la vie religieuse du Midi médiéval : prédication, élaboration doctrinale, études, enseignement, productions écrites, activités missionnaires hors la chrétienté, investissement de la hiérarchie ecclésiastique, service de la Curie et combat contre l’hérésie. Des monographies conventuelles ont permis d’approcher la vie courante des religieux : quêtes, études, prédication, confession, participation aux funérailles, accueil de sépultures. Elles éclairent aussi leurs rapports avec la société locale, mis en lumière par les problèmes et les étapes de leur implantation. L’étude et l’enseignement sont au cœur de la vie des Prêcheurs, pour servir à la prédication. La vie conventuelle s’organise donc en fonction des études, car la mission de l’ordre est de poursuivre par la parole l’œuvre du Christ et l’officium praedicationis lui confère, à côté des évêques, sa raison d’être dans l’Église et son statut d’exception. Le Cahier 36 s’efforce également de retrouver les religieux et les personnes derrière l’ordre ; l’entreprise s’avère ardue, tant les identités particulières se fondent dans la communauté, mais il apparaît bien que l’agrégation à la fraternité de l’ordre, par l’intermédiaire d’une fraternité conventuelle, localement enracinée, constitue pour chacun un passage fondamental.
La mémoire dominicaine constitue un autre centre d’intérêt du Cahier 36. Elle a fait l’objet de remaniements et d’inflexions précoces et se compose de strates superposées. L’inquisition a joué un rôle central dans la construction de l’image que les Prêcheurs se sont longtemps donnée d’eux-mêmes. Au temps de la querelle des réguliers et des séculiers, qui a pesé lourd à bien des égards, l’histoire de l’ordre subit des changements de perspective. L’ordre se présente comme fondé pour lutter contre l’hérésie ; l’apologie du Saint-Office entraîne Bernard Gui à présenter saint Dominique comme le premier des inquisiteurs. Cette image se maintient encore dans la seconde moitié du XVIIe siècle, en relation avec les combats religieux de l’époque. Parallèlement, Prouilhe et Fanjeaux deviennent des lieux-saints, où l’ordre commémore à la fois son fondateur et ses propres origines. La mémoire de l’ordre repose également sur une tradition iconographique, illustrée en particulier par le monument édifié dans l’église conventuelle de Bologne ; plus que saint Dominique, ce dernier exalte l’ordre, montrant qu’il forme un seul corps, identifié à l’idée de mission chrétienne. Comme les précédents, le Cahier 36 a répondu à des questions, ouvert des voies, posé des problèmes. Il a contribué à élargir l’histoire des Prêcheurs dans le site même où saint Dominique a médité la fondation de leur ordre et fait l’expérience d’une annonce de l’Évangile radicalement neuve.
Le pouvoir des clercs, sous ses différentes formes, suscite entre 1150 et 1320 des manifestations d’hostilité diverses, que l’on peut ranger sous le terme d’anticléricalisme, bien que ce dernier, anachronique, soit ignoré du Moyen Âge. Le Cahier 38 tente d’en dresser le répertoire, les modalités et les conséquences. On constate que l’anticléricalisme apparaît avec force au moment où s’achève la réforme « grégorienne », vers 1120/1140. Cette réforme a pris appui sur la référence à la vita apostolica, exaltant le propos de vie évangélique. C’est au nom de cette dernière que s’effectue la critique du pouvoir matériel, mais aussi du pouvoir spirituel des clercs. Une question fondamentale pour l’histoire religieuse du Midi médiéval est de savoir si le rejet du pouvoir clérical se transforme en contestation ecclésiologique et théologique, engendrant ainsi l’hérésie.
Du point de vue de l’anticléricalisme, le XIIIe siècle est aussi complexe que celui qui l’a précédé. D’une part, les ordres mendiants viennent rétablir l’équilibre entre l’Église et la société ; d’autre part, la croisade et l’inquisition font naître par leurs conséquences un nouvel anticléricalisme. Un gibelinisme politique est particulièrement sensible en Provence au temps de Frédéric II. L’inquisition, qui anéantit les franchises des villes, suscite quant à elle des révoltes urbaines dans le Languedoc occidental, lors de son instauration et encore à la fin du XIIIe siècle. Les Mendiants, dès qu’ils multiplient leurs couvents entrent souvent en conflit avec les séculiers et avec les pouvoirs locaux. Et la question demeure ouverte dans l’Église de la pauvreté et du pouvoir, les Spirituels franciscains allant jusqu’à soutenir que le pape ne peut avoir raison contre l’Évangile. On retrouve en l’occurrence le balancement entre Église institutionnalisée et Église spirituelle qui marque les débuts et les prolongements de la réforme grégorienne. Dans cette rupture intérieure s’exprime le souci d’un dépassement de l’institution vers plus de perfection, plus d’Évangile. C’est l’expression d’une oscillation permanente entre la nécessité d’encadrer le peuple chrétien et la pauvreté évangélique, entre l’affirmation du pouvoir institutionnel et le choix du dénuement apostolique.
Le Grand Schisme (1378-1417) a divisé la chrétienté occidentale durant près de quarante années. Cette fracture est généralement considérée dans sa globalité, du point de vue du gouvernement de l’Église ou des actions entreprises pour restaurer l’unité. Il a paru utile de renverser la perspective et d’étudier le Schisme à partir du Midi, afin de d’en définir les formes et les conséquences dans la région. Comment a-t-il été reçu et vécu par les méridionaux, clercs ou laïcs ? A-t-il suscité des inflexions de la pratique religieuse et de la dévotion ? Une autre question est de savoir si le Midi conserve dans l’obédience de Clément VII le poids relatif qu’il possédait dans l’Église au temps de la papauté d’Avignon. Un autre problème est de connaître la répartition exacte des obédiences ; la carte s’avère compliquée, en raison des rivalités des princes, des seigneurs et des clercs ; la situation devient encore plus complexe avec les soustractions et les restitutions d’obédience. Des factions se forment dans les chapitres et les communautés. Les grands ordres aussi se scindent, en général selon l’implantation géographique de leurs maisons.
Ces perturbations de tous ordres portent les docteurs à réfléchir de manière approfondie sur les structures de l’Église institutionnelle et leur rapport à l’Église mystique. En ce domaine, l’Université de Toulouse affirme avec force son indépendance et son originalité, sa fidélité aux principes également. En 1398, ses représentants à Paris se prononcent contre la soustraction d’obédience, puis au cours de celle-ci est élaborée l’Epistola tholosana. Ce manifeste rejette la doctrine conciliaire et aussi l’idée que l’autorité du prince l’emporte sur celle du pape. Mieux : elle accuse l’Université de Paris, le conseil du roi dans sa majorité et Charles VI lui-même de désobéissance envers le pape et l’Église, ce qui les rend schismatiques et hérétiques.
Lassitude devant les situations inextricables gênant la dévolution et la possession des bénéfices et volonté spirituelle de réduire le Schisme, hormis une poignée de partisans de Benoît XIII cantonnés dans le domaine des Armagnac en Rouergue, le Midi après le concile de Pise se rallie au mouvement unioniste. Crise de l’institution ecclésiastique, le Schisme n’entraîne nullement une crise de la foi. D’une part, on ne discerne aucune trace des hérésies anciennes ; d’autre part, les témoignages de la ferveur religieuse sont innombrables. Les prédicateurs, tel Vincent Ferrier, soulèvent les foules ; les pèlerinages conservent leur attrait ; le culte des saints connaît ses plus vives manifestations ; les confréries montrent une vitalité soutenue. Magnifique image, qui traduit à la fois les conceptions des docteurs et la vigueur de la dévotion populaire, la Vierge au manteau est l’icône de l’Église qui rassemble tous les chrétiens dans son unité ; elle exprime aussi la piété des humbles qui la vénèrent comme une mère universelle, intercédant pour tous et pour chacun. Le Cahier 39 regroupe un ensemble de contributions qui éclaire d’un jour neuf et précis l’état religieux de la France méridionale au temps du Schisme.
La quatrième décennie des colloques s’est close par une attention particulière à la population rurale, masse des fidèles, en général oubliée des études. Le Cahier 40, issu de ce colloque s’intitule L’Église au village. Lieux, formes et enjeux des pratiques religieuses. Il élargit considérablement les vues exposées dans les Cahiers antérieurs consacrés à la religion populaire et à la paroisse. Il intègre en effet les acquis de l’archéologie et de l’histoire sociale. Il précise le processus de formation des villages et des bourgs et la place que l’église y trouve. Les contributions du Cahier confrontent le village des archéologues et celui des historiens et reflète les chantiers ouverts : définir l’espace religieux villageois, qui ne se confond pas obligatoirement avec la paroisse ; savoir si la sociabilité de voisinage influence les pratiques religieuses au village ; déterminer si, du point de vue de la religion, le village constitue un espace clos ou bien se trouve ouvert au monde environnant. L’église commande le regroupement de l’habitat dans les celleres et sagreres catalanes et sans doute ailleurs, mais elle peut aussi être étrangère à la constitution des castra et venir se fixer tardivement à l’intérieur de ces derniers. La diversité des cas est de règle, mais tôt ou tard, l’église est un des éléments fondamentaux de la polarisation de l’espace, ce qui souligne la coextensivité de la religion et de la société au Moyen Âge. Le clergé rural remplit l’essentiel de ses obligations, car les registres inquisitoriaux montrent que les fidèles, à la fin du XIIIe siècle, ont intériorisé les données fondamentales du dogme et de la discipline chrétienne. Au village, les conflits religieux s’inscrivent dans la sociabilité de voisinage et ils en participent. La dissidence, par exemple, accentue des clivages antérieurs, et met en jeu des rivalités de réseaux. Le monde villageois n’est en aucun cas un univers clos sur lui-même. Ce qui se vérifie sur le plan économique se manifeste également dans le domaine religieux. Les chapitres urbains opèrent souvent sur les paroisses rurales des prélèvements qui comportent parfois des retours, ainsi l’édification ou la restauration des églises paroissiales. Les bons hommes circulent de village en village et les Mendiants trouvent dans les campagnes des terrains de prédication et de quête. Le Cahier 40 (2006) offre bien des voies pour approcher les phénomènes religieux dans le cadre du village et de l’identité villageoise.
La quatrième décennie des Cahiers a été marquée par un profond renouvellement des collaborateurs. Bien des anciens ont donné des communications, mais il est remarquable que de très nombreux jeunes historiens ont contribué à l’enrichissement des volumes, ce qui témoigne du large essor de la recherche et d’un important vivier de chercheurs. Parmi eux, Sophie Peralba, Nathalie Hurel, Isabelle Rava-Cordier, Jean-Arnault Dérens, Stéphanie Martinaud, Charles Peytavie, Claire Goiran, Agnès Dubreil-Arcin, Cécile Voyer, Yveline Prouvost, Étienne Anheim, Martin Morard, Géraldine Paloc, Laurent Albaret, Myriam Soria, Jean Mercier, Florian Mazel, Damien Carraz, Julien Théry, Sonia Comte, Hugues Labarthe, Fabrice Ryckebusch, Sophie Vallery-Radot, Nicole Pons, Damien Ruiz, Danielle Laurendeau, Marie-Laure Jalabert, Clément Lenoble et Philippe Genequand. À leurs côtés, les colloques ont accueilli des historiens plus chevronnés, venus de l’étranger : Susan Blackman, Josep Moran, Beverly Kienzle, Carolyn Muessig, Mgr Victor Saxer, le P. Simon Tugwell, Olga Weijers, et Michel Hébert, ou bien venus de France : ainsi, Donatella Nebbiai-Dalla Guarda, Marie-Henriette Jullien de Pommerol, Matthieu Desachy, Dominique de Courcelles, Christian de Mérindol, Nelly Pousthomis-Dalle, Nicole Bériou, Marie-Anne Polo de Beaulieu, Huguette Taviani-Carozzi, Louis Stouff, Gérard Nahon, Jean-Claude Hélas, Géraldine Mallet, Michelle Fournié, Valérie Galent-Fasseur, Jean-Yves Tilliette, Michel Lauwers, Guy Lobrichon, Jacques Dalarun, Michel Hayez, Claudie Amado, Geneviève Brunel-Lobrichon, Paul Mironneau, Patrick Gautier-Dalché, Régis Rech, Georges Passerat, Daniel Russo, Anne Reltgen-Tallon, Jean-François Goudesenne, Catherine Vincent, Denise Péricard-Méa, Pierre-Gilles Girault, Anne-Lise Rey-Courtel, Henri Bresc, Aymat Catafau, Florent Hautefeuille et Benoît Brouns. Une telle énumération montre que la plupart des spécialistes de l’histoire religieuse ont investi une part de leur savoir dans les Cahiers de Fanjeaux.
En parallèle, les colloques et les Cahiers ont bénéficié du patronage de l’Université de Montpellier III, à partir de 1997. La composition du Comité s’est modifiée. Le dernier de ses membres fondateurs, Philippe Wolff, a disparu en 2001. La même année a démissionné Jean-Louis Gazzaniga qui en faisait partie depuis 1995. Ce départ a été compensé par la cooptation de Georges Passerat, en 1996, de Jacques Verger, en 2000, de Jacques Krynen en 2001, d’Agnès Dubreil-Arcin et de Fabrice Ryckebusch en 2003, puis de Julien Théry en 2005.
Cahiers 41 à 50. L'aventure continue !