CENTRE D'ETUDES HISTORIQUES - 11270 FANJEAUX
LES CAHIERS DE FANJEAUX
L'encyclopédie de l'histoire religieuse du Midi au Moyen Age
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Les colloques ont, relativement tôt, élargi leur territoire d’application, même si les Cahiers, à partir du douzième, ont été pourvus du sous-titre « Collection d’histoire religieuse du Languedoc ». Ce sous-titre appelle une autre remarque. Il souligne que les volumes composent une collection d’histoire religieuse. Cela souligne la recherche d’une cohérence d’ensemble et cela signifie que leur perspective est bien différente de celle de l’Histoire de l’Église, autrefois dirigée par Augustin Fliche et Victor Martin. Dès son début, en 1965-1966, la collection se situe, dans la ligne de Vatican II et d’une historiographie catholique déjà élargie, celle du doyen Le Bras, celle illustrée à l’intérieur de l’ordre des Prêcheurs, par les PP. Chenu, Congar et Vicaire, celle à venir illustrée par Jean Delumeau et André Vauchez, celle aussi pratiquée par Étienne Delaruelle. Le travail d’historien de ce dernier a consisté à saisir l’Église comme peuple et non plus seulement comme clergé et/ou comme institution. À la sécheresse et à l’arbitraire des exposés dogmatiques et institutionnels, il a substitué un effort de compréhension en profondeur de la vie religieuse et des mouvements spirituels animant le peuple chrétien. Sans doute la notion de « religion populaire » qu’il a mise en avant a-t-elle fait l’objet de critiques, il n’en reste pas moins qu’il a contribué de manière déterminante à une conversion fondamentale de l’histoire de l’Église au Moyen Âge. Les Cahiers de Fanjeaux ont suivi les principes qu’il avait formulés, en les enrichissant. Dans l’introduction du Cahier 28, paru en 1993, le P. Vicaire a souligné que les recherches « qui portent sur l’histoire des institutions présentent une faiblesse. Parce qu’elles atteignent d’abord les données de droit ou de doctrine, qui constituent le cadre général de la vie de ces institutions, elles ne révèlent qu’imparfaitement les réalités intérieures et personnelles qui sont l’essence des actes religieux ». Les Cahiers ont ainsi toujours tenté d’atteindre les réalités intérieures des phénomènes religieux propres à la France méridionale au Moyen Âge.
Au demeurant, ils n’ont pas borné leurs enquêtes au seul christianisme. Le volume 11, La religion populaire en Languedoc du XIIIe siècle à la moitié du XIVe siècle, n’a pas manqué d’aborder les croyances et les usages ayant leur source dans le paganisme et le fonds folklorique. Le douzième s’est intéressé au judaïsme languedocien. Le dix-huitième aux relations du Midi avec l’Islam. La proximité de la France méridionale avec l’Islam ibérique ou insulaire (les Baléares), ou bien avec la Berbérie ont engendré une situation particulière. Il en résulte des polémiques : Alain de Lille à Montpellier écrit contre les mahométans dans sa Summa quadripartita, mais aussi des entreprises de traduction et des missions de conversion. Dans ce champ intervient Raymond Lulle, auquel le vingt-deuxième des Cahiers a été consacré. Ce sont enfin des méridionaux qui fondent les ordres voués au rachat des captifs chrétiens ; saint Pierre Nolasque, né en Lauragais, établit l’ordre de la Merci, tandis que le Provençal Jean de Matha crée l’ordre des Trinitaires.
À cet égard, dans la seconde décennie de leur existence, colloques et Cahiers, fidèles à leurs principes initiaux, n’ont pas manqué de se tourner vers des institutions expressives de pratiques de piété, et précisément celles de l’assistance et de la charité (Cahier 13, 1978) et du pèlerinage (Cahier 15, 1980).
La France de langue d’oc constitue une aire culturelle spécifique, définie par une langue particulière. Pour autant, la société occitane ne manifeste pas de spécificités marquées dans ses structures. Les Cahiers de Fanjeaux qui s’efforcent de saisir le phénomène religieux dans toute son ampleur et sa complexité soulignent les parentés et les différences entre les pays méridionaux et les autres. Du point de vue des institutions et des dogmes, régis par un droit unique, les écarts à la norme sont forcément contenus dans des limites étroites. Cependant, au cours du Haut Moyen Âge, entre le Ve et le Xe siècle, la chrétienté latine se compose d’églises avant tout régionales.
Le fait se manifeste notamment dans le culte des saints, ainsi que l’a mis en évidence le trente-septième Cahier (2002). La sainteté est l’expression même du christianisme. Elle manifeste l’origine divine de l’Église militante, sa finalité à se résorber dans l’Église triomphante, et leur union dans la communion des saints. Très tôt, les saints font l’objet d’un culte qui devient rapidement populaire. Il cristallise autour de leurs tombeaux (loca sanctorum) où peut être captée l’énergie bénéfique de leur virtus, puisque leurs reliques participent de la perfection et de l’éternité dans le monde du transitoire, du mal et de la perversion. À travers tout le Moyen Âge, le peuple chrétien vit en symbiose avec la société des saints dans un commerce permanent de dévotion aux formes multiples. Bien des recherches ont été ouvertes depuis quelques lustres sur ce champ immense, mais il reste loin d’être complètement défriché, particulièrement dans le Midi de la France, domaine particulier, riche d’informations. Ainsi, la Chanson de sainte Foy marque-t-elle, dans le troisième quart du XIe siècle, les débuts de la littérature d’oc, tandis que les Vies d’Elzéar de Sabran et de Dauphine de Puimichel ont été adaptées en occitan à la fin du XIVe siècle par un franciscain de la région d’Albi . Rappelons aussi le réseau de pèlerinages méridionaux mis en évidence par les pénitences infligées par les inquisiteurs, la tentative de promouvoir à la sainteté l’un de ceux-ci, Bernard de Caux, et, à l’opposé, le mouvement protestataire tendant à la sanctification de Pierre Déjean-Olieu, enfin, l’explosion du culte de saint Roch. L’ensemble de l’hagiographie méridionale méritait d’être réexaminée, eu égard aux études importantes publiées dans les dernières décennies. Sans doute les saints universels, et notamment les apôtres, occupent-ils le premier rang dans la dévotion des méridionaux, mais la sainteté possède une expression locale, comme le montrent les adjonctions dans les versions méridionales des martyrologes d’Adon et d’Usuard. Toutefois, les saints locaux n’ont dans l’espace et le temps qu’un rayonnement limité, malgré quelques cas exceptionnels, comme celui de saint Gilles. Par ailleurs, on sait que les Carolingiens, dans leur période la plus faste, s’efforcent de surimposer aux églises régionales, un réseau de monastères rattachés à l’empereur. Dans un même mouvement d’unification, quand ils annexent des territoires, ils font entrer dans leur généalogie les saints propres à ces derniers . C’est le cas d’une sainte de l’Albigeois, ayant vécu au VIIe siècle, Sigolène, probablement issue d’un lignage ducal de l’Auvergne, à laquelle ils font en outre édifier un sanctuaire à Metz. D’où la vogue ultérieure de ce nom dans la France de l’est.
Cependant, jusqu’au XIe siècle, les noms de baptême sont peu christianisés. Ils renvoient aux puissants laïcs de chaque région. En Languedoc prévalent alors ceux de Guilhem, Raimon et Bernat. En parallèle, une originalité régionale se marque à cette époque dans la liturgie de la province ecclésiastique de Narbonne, comme l’a mis en exergue le Cahier 17, Liturgie et musique (IXe-XIVe siècle), publié en 1982. Cette liturgie, est dite romano-wisigothique ou catalano-languedocienne, car la province de Narbonne s’étend alors jusqu’à l’Èbre. Certains de ses usages, repris en Aquitaine et en Provence, se maintiennent jusqu’à l’adoption des livres tridentins.
Ce Cahier a fait apparaître, qu’au moins pour certains de ses aspects, la vie religieuse du Languedoc au XIIIe siècle ne pouvait se comprendre sans l’examen de ses antécédents et des périodes antérieures. En outre bien des cadres institutionnels définis dans l’amont chronologique se prolongent après 1200.
Durant la période féodale, la pulvérisation des dominations politiques favorise l’unification et la centralisation de l’Église, seule instance de régulation de la société, en raison de sa finalité spirituelle et eschatologique. Les Églises se fondent dans l’Église et le terme de christianitas devient d’un emploi courant. Les congrégations monastiques régionales, comme celle de Lagrasse, cèdent le pas à des ordres dont le réseau s’étend à l’ensemble de l’Occident. Les comtes de Toulouse soutiennent Moissac et Cluny ; hors influence toulousaine, la plupart des monastères du Midi se rattache à Saint-Victor de Marseille. Un Cahier, le dix-neuvième, édité en 1984, a pris en considération le devenir des moines noirs aux XIIIe et XIVe siècles, où leurs acquis demeurent, mais où leur place relative diminue.
En parallèle, dès les années 1140, un nouvel ordre religieux incarne l’Église nouvelle, dont il constitue le fer de lance ; il s’agit de l’ordre de Cîteaux. Les Cisterciens de Languedoc ont fait l’objet du Cahier 21, paru en 1986. L’Influence de l’ordre cistercien décline au XIIIe siècle, même si le méridional Jacques Fournier l’illustre un peu plus tard, en devenant le pape Benoît XII, qui entreprend la construction du Palais d’Avignon et la réfection du collège des Bernardins de Paris. Au XIIe siècle, l’ordre de Cîteaux fédère dans le Midi les monastères et les congrégations d’une spiritualité proche de la sienne qui ont éclos de manières diverses, ainsi Obazine, Cadouin ou Silvanès. Sa montée en puissance s’avère concomitante, et probablement corrélative de celle de la dissidence religieuse ; en effet, on a désormais pris conscience que l’image de l’hérésie est largement façonnée par ses adversaires.
La dissidence des « bons hommes » - appellation meilleure que celle de « cathares », anachronique et lourde de présupposés de toute sorte - naît en Occitanie de facteurs internes. Spécifique du Midi, elle n’est pas particulière à lui, puisque des mouvements parallèles se font jour en Rhénanie, ainsi qu’en Italie du nord et du centre. Elle exprime, d’une certaine manière, la disjonction entre l’institution ecclésiastique et la demande spirituelle des élites. Son apparition, son développement, puis sa résorption se trouvent donc en conjonction étroite avec l’évolution de l’Église. De façon légitime, les colloques de Fanjeaux se sont donc intéressés de manière récurrente au « phénomène cathare ». Et d’abord à l’Historiographie du catharisme (Cahier 14, 1979). Ce volume démontre comment, à travers différentes strates temporelles, a été construite une image du catharisme sans rapport avec la réalité et qui confine au mythe. Quelques années plus tard (Cahier 20, 1985), l’Effacement du catharisme a généré un ensemble d’analyses qui ont mis en évidence l’élargissement du concept d’hérésie (au non-paiement des dîmes, par exemple) et la primauté des facteurs socio-politiques et religieux sur la répression inquisitoriale dans la disparition de la dissidence. Attachée à retrouver les hommes derrière les institutions, l’équipe de Fanjeaux s’est également intéressée à un personnage majeur, Bernard Gui. Prêcheur, inquisiteur, évêque et historien, il tient un rôle cardinal dans le Midi entre 1290 et 1331 ; il s’avère bien différent de l’image violente et dévalorisante qu’en donne Umberto Eco dans Le nom de la rose.
Dans la seconde décennie des rencontres de Fanjeaux s’est défini un noyau dur de collaborateurs, principalement composé des membres du comité d’organisation des colloques et de publication des Cahiers. Autour du P. Vicaire, il rassemblait Paul Amargier, Henri Gilles, Bernard Guillemain, Yves Dossat, Philippe Wolff, Jean-Louis Biget et quelques « habitués », comme Raoul Manselli. Participèrent à l’une ou l’autre des sessions, des membres de l’ordre des Prêcheurs, les PP. Gy, Bedouelle, Montagnes et Šanjek, la plupart des universitaires français pratiquant l’histoire religieuse du Moyen Âge, ainsi Michel Mollat, Bernhard Blumenkranz, Michel Zink, André Vernet, Jean-Claude Schmitt, Edmond-René Labande, Jean Richard, dom Becquet, André Vauchez, Mgr Martimort, Marie-Thérèse d’Alverny, Jean Dufour, Gérard Jugnot, Jacques Chiffoleau, Arnaud Ramière de Fortanier, Michel Huglo, Charles Touati, Gilbert Dahan, le contingent des Provençaux déjà nommés, puis Monique Zerner, Jean-Marie Carbasse, Jacqueline Caille, Monique Bourin, Daniel Le Blévec, Christian Guilleré, Pierre-André Sigal et Philippe Sénac. De même, venus de loin, Giulio Cipollone, Charles Verlinden, Richard Emery, Gavin Langmuir, Aryeh Grabois, Alan Friedlander et Joseph Shatzmiller. Et encore Anne Brenon, Jean Duvernoy et Michel Roquebert.
Cahiers 21 à 30. Un horizon élargi : de nouveaux objets d'étude